L’impératif de dialoguer entre Haïtiens, sans préalables
Par Guyler C. Delva
Depuis un certain temps, Haïti se trouve plongée dans une situation de crise politique et sociétale dont les contours et paramètres illisibles et inintelligibles se posent comme un écran de fumée empêchant même les cerveaux les plus perspicaces, lucides et sensés de bien jauger et de suggérer des alternatives pertinentes, susceptibles de rallier l’adhésion de l’ensemble des Haïtiens, ou presque, et de tirer le pays de ce pétrin qui risque d’hypothéquer la souveraineté nationale et l’avenir de générations à venir.
Il s’agit d’abord de considérer le dilemme qui épouvante beaucoup de gens qui ont du mal à se résoudre à faire un choix entre le maintien du statu quo (le pouvoir de Jovenel Moise) et le statu quo ante (l’opposition) dont les bilans se révèlent être du pareil au même, car plus ça change, plus c’est la même chose. Beaucoup d’acteurs qui militent aujourd’hui dans l’opposition étaient, eux aussi, au pouvoir et ils avaient été, à leur tour, l’objet de graves accusations.
Quand tout est à faire et quand les urgences comme qui dirait s’équivalent, il se pose souvent un dilemme éthique d’avoir à choisir et de justifier le choix de telle option plutôt qu’une autre, surtout quand il s’agit d’adresser des dossiers portant sur la santé ou la sécurité sociale, l’éducation ou les libertés individuelles, la sécurité et la criminalité organisée, la faim ou l’abjecte pauvreté, les logements sociaux, etc.
Dans un pays pauvre, ou mieux, appauvri comme Haïti, où la satisfaction de ces besoins fondamentaux demeure un énorme défi, on doit s’attendre à ce que, sur une période plus ou moins étendue, les efforts consentis par un certain nombre de gouvernements, en vue de se colleter avec cette dure réalité du sous-développement, soient noyés dans le vaste océan des problèmes non encore résolus et trop souvent adressés dans un contexte de turbulence, d’instabilité, de corruption et de mal gouvernance. Mais cela fait déjà plus de 215 ans que nous avons conquis notre indépendance.
Cette période de temps, à mon avis, conséquente a-t-elle été trop courte pour nous permettre d’atteindre un niveau de développement raisonnable, ou du moins d’amorcer un progrès socioéconomique digne de ce que nous représentons dans l’histoire de l’humanité? La réponse est NON.
Presqu’aucun des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir dans toute l’histoire d’Haïti, n’a échappé à cette constance de mal gouvernance qui aujourd’hui nous vaut d’être couronnés du titre, avec le superlatif, de pays le plus pauvre de l’hémisphère américain et l’un des plus pauvres du monde. Et nous tous avons tout fait pour que nous en soyons arrivés là.
En d’autres termes, aucun des décideurs politiques ayant pris les rênes du pouvoir ou ayant fait partie d’un gouvernement haïtien, à un moment ou à un autre, ne peut s’enorgueillir de s’être sorti du lot des dirigeants ayant failli à leur mission d’assurer un bien-être même passable aux héritiers des valeureux pourfendeurs de l’esclavagisme.
Au vu de la déloyauté, de l’indignité, des monstruosités, des forfaits et forfaitures, de la trahison, et des reniements honteux dont nos gouvernants d’hier et d’aujourd’hui, et beaucoup d’entre nous, se sont rendus coupables, il est plausible qu’on se sente embarrassé de devoir choisir entre deux maux ou deux camps qui se valent. D’où le dilemme éthique et politique. Un dilemme qui parait quelque peu insoluble.
Aujourd’hui, les Haïtiens, notamment ceux de la majorité silencieuse, sont appelés à choisir entre le départ du président Jovenel Moise, dont on dit qu’il ne fait rien pour combattre la corruption, pour améliorer les conditions de vie de la population et une opposition dont le bilan accablant, durant les longues années passées au pouvoir, laisse peu de doute sur la résurgence des pratiques sordides, mafieuses et porteuses d’échecs avérés, de nos jours, redoutées par plus d’un.
Fort heureusement, ce qu’on estime être un choix laborieux, voire un dilemme inextricable, en réalité, n’en est pas un, pour peu que politiciens (toutes tendances confondues), hommes d’État, intellectuels, élites économiques, etc., soient de vrais patriotes, des Haïtiens authentiques et consciencieux.
Si ce qui précède est confirmé et vérifié, il s’agit d’un faux dilemme, car le choix se veut clair et explicite, et ne souffre donc d’aucune ambiguïté ou de contradiction légitime. Le choix attendu des patriotes endurcis que vous êtes – à moins que votre comportement, dans les prochains jours ou prochaines semaines, ne me fasse mentir – ne peut être autre qu’Haïti. Tout autre choix serait considéré comme un crime contre la patrie. Et, pour Haïti, vous conviendrez avec moi, qu’aucun sacrifice n’est trop grand, et ceci, d’un côté comme de l’autre.
Il ne s’agit pas de choisir entre Jovenel Moise, André Michel, Jean Charles Moise, Don Kato, Youri Latortue, et consorts. Notre chère Haïti est bien plus grande que tous ces gens-là qui ne font que passer. Le pays ne saurait leur appartenir. C’est notre pays à nous tous, Haïtiens d’ici et d’ailleurs!
Bien sûr, il n’est pas question de vouloir garder le pouvoir, peu importe le prix à payer par la population et pas question non plus de revendiquer ou de conquérir le pouvoir par une violence aveugle, quitte à diriger sur les cendres, les débris ou les vestiges d’une Haïti qui n’existerait plus que dans nos sombres souvenirs. Franchement! Je ne comprends pas cette logique de vouloir tout détruire, de réduire Haïti à sa plus simple expression, pour ensuite espérer lancer un énorme et long processus de reconstruction quand les caisses de l’État n’auront plus un sou pour investir.
Fils et filles de cette terre emblématique de l’idéal et de l’élan expansif de la liberté universelle, il est grand temps que nous entendions la voix exaspérée de Mère Haïti, aujourd’hui en coma, qui nous demande et nous supplie, par sa mine désespérée, de nous asseoir, de nous parler, de dialoguer, de nous entendre et de trouver un accord sur l’impérative nécessité de la sortir de sa décrépitude, de ses déchirements et de sa détresse.
Aujourd’hui, il s’avère indéniable qu’un partage de responsabilité au plus haut niveau de l’État, voire une cohabitation, entre le président Jovenel Moise et l’opposition, est plus que nécessaire. Non pas parce que cette cohabitation apportera les résultats escomptés du point de vue du processus de développement socioéconomique du pays, mais parce que le moment nous dicte de le faire. Je n’avais pas toujours privilégié pareille option puisque je n’y ai jamais cru, mais une telle démarche semble aujourd’hui constituer le passage obligé vers un apaisement. La vérité absolue c’est que ni l’un ni l’autre des deux camps politiques ne peut à lui seul diriger le pays, au vu de la situation qui nous préoccupe actuellement.
Des belligérants, dans des guerres atroces et meurtrières dans certaines régions du monde, arrivent souvent à créer un canal de communication et de dialogue dans la perspective, même parfois peu réaliste, de conclure un accord de paix.
Les Américains se sont engagés, pendant ces 11 derniers mois, à Doha, dans des négociations avec des chefs Talibans, responsables de la mort de nombreux civils et des soldats américains au cours de la guerre en Afghanistan notamment. Le président Trump avait même envisagé de les recevoir récemment dans sa résidence officielle à Camp David. Beaucoup d’observateurs croiraient une telle démarche non envisageable.
Tout compte fait, nous n’aurions pas besoin de blancs ou de Core Group pour nous le dire. Un dialogue ouvert entre Haïtiens, sincère et sans préalables, s’impose aujourd’hui. Et tout devra être mis sur la table, bien entendu. C’est ce qui nous permettra, ensemble, de nettoyer les écuries d’Augias. Autrement, toute épreuve de force favorable à un camp au détriment de l’autre, ne pourra être qu’une victoire à la Pyrrhus.
Et si d’aventure des acteurs politiques dans un camp comme dans l’autre s’avisaient d’adopter cette dernière option, ils devraient être considérés comme les véritables pourfendeurs de la nation. À bon entendeur, salut!
Joseph Guyler C Delva