Soumis à Haiti Hebdo le 18 juillet 2017
A lire des prises d’opinions arrêtées et analyser soi-même les faits se veulent deux mondes de différence. Je me suis trouvé en face de ce dilemme en écoutant l’icône de la radio, Liliane Pierre-Paul et le député Gary Bodeau cet après-midi. C’est tout un leadership trop longtemps manquant qui avait l’opportunité de s’expliquer à un micro vidé de toute passion qui ne cherchait que la vérité. Pourtant, 48 heures avant, un article de journal a failli m’imposer une idée totalement erronée de ce jeune député. C’est le fort de la communication.
J’ai lu avec intérêt l’article de Jean Claude Roy paru dans Le National du 15 juillet 2018. « Le député Gary Bodeau est-il à la hauteur de sa tâche de président de la Chambre des députés? », s’interroge M. Roy. Le titre de l’article, la forme interrogative, les matériaux de recherche qu’amasse l’auteur… sont abondants. Les données sont recueillies avec des objectifs d’une problématique de recherche. Même si l’auteur tire des conclusions hâtives, j’apprécie sa démarche ainsi que la fluidité de son texte.
D’entrée de jeu, j’aimerais souligner que ce n’est pas la première fois qu’une séance d’interpellation se termine sans vote de censure, qu’on désigne aussi par le thème vote de défiance. Dans un climat aussi survolté que celui de la séance du 14 juillet dernier, René Préval interpellé en 1991, à titre de premier ministre, s’était présenté l’air stoïque à une interpellation de la Chambre des députés. La séance a été levée, sans vote, par le président de la Chambre à l’époque.
Mais ce qui m’interpelle à écrire, c’est surtout cette légèreté active qui nous tient, à chaque fois, à jeter nos leaders émergeant à la poubelle, alors que leur bilan et comportement nous invitent plutôt à espérer. C’est bien le cas de Gary Bodeau, l’actuel Président de la chambre des Députés durant ces trois semaines. Et la pondération déroutante dont il vient de faire preuve au micro de radio Kiskeya à sa sortie d’une rencontre avec le Président de la République justifie, à elle seule, mon appréciation.
Un membre de la majorité qui s’oppose à ce que le prochain chef de Gouvernement sort d’entre ses pairs, un proche du pouvoir qui décourage le président à choisir un premier ministre-maison, un président de chambre qui souhaite qu’avant même qu’il soit consulté, comme le veut la Constitution, que le président aille d’abord concerter avec la société civile plurielle et ses adversaires politiques avant de désigner un nouveau Premier Ministre. Tout cela au nom d’une conjoncture qu’il juge trop glissante pour s’accoler aux écritures. Il nous faut, aujourd’hui, non seulement un gouvernement d’ouverture, mais, souligne-t-il, il nous faut un premier ministre issu des autres secteurs de la vie nationale en citant nommément à titre d’exemples les associations de médias et des organisations paysannes. N’est-ce pas, un peu, de cette lucidité et de ce désintéressement qui nous ont trop longtemps fait défaut ?
Revenons au papier de M. Roy. Au lendemain des émeutes considérées comme causes occasionnelles de la démission forcée de Jack Guy Lafondant, le président de la Chambre de Députés, Gary Bodeau, a exigé le retrait de la décision du gouvernement d’augmenter le prix du carburant à la pompe. Devant l’ampleur du désordre et la peur des familles, il en déduit un rejet du gouvernement par la population. La désapprobation populaire. M. Bodeau fut la première voix à demander au Premier ministre de comprendre et de se retirer, quelques heures après son ultimatum exigeant le retrait de la mesure d’augmenter le cout du carburant. Frantz Duval écrira plus tard que Gary Bodeau a confié sur Magic qu’il avait prévenu l’Exécutif des conséquences éventuelles d’une telle mesure et qu’ils n’auront pas son soutien si ça cloche. Car, souligne-t-il, la situation du gros de la population est trop précaire et l’espoir est aujourd’hui en berne. Une autre preuve de lucidité et un sens des affaires étatiques.
Une capitale assiégée. Des villes de province proche de la braise. La reprise de la séance en continuation était devenue un impératif.
Quid de la Commission d’enquête
L’article de M. Roy fait état de la nécessité d’un rapport de la commission d’enquête ; mais un point lui échappe. Car, entre temps, au delà de la simple correspondance indexant les « ministres », la Cour Supérieure des Comptes a soumis un rapport détaillé sur la situation des ministres et renforce sa conclusion. Le Président de la Chambre a vite compris que ce dossier était clos. Car si commission d’enquête il en est, c’est à cette cour que la Commission devrait s’adresser. Le rapport étant disponible, ce fut le moment de passer à l’étape suivante, motivée d’ailleurs par une conjoncture de révolte populaire.
Bien avant la séance, Gary Bodeau a été, entre autres, le premier à demander une réunion entre les trois pouvoirs. De surcroit, malgré l’état des routes, il a convoqué ses pairs pour la reprise de la séance mise en continuation. Toutes ses demandes ont été agréées. C’est tout un leadership pour celui qui a fait son entrée dans l’arène des décideurs il y a seulement trois ans.
Vient la séance en question. D’un calme tout à fait olympien, Gary Bodeau a su éviter des esclandres entre députés, ce jour-là. Ce serait un scandale de trop pour un pays qui se remet péniblement des conséquences des émeutes du vendredi 8 au dimanche 10 juillet 2018. C’est bien connu, la qualité d’un président d’assemblée est de toujours garder du recul et rester calme. Un test réussi pour l’élu de Delmas. On est tous d’accord que le Premier Ministre qui est sorti de la salle des séances n’est pas celui qui y étaient entré. Une séance difficile avec des poussées de passion d’un coté comme de l’autre. Qui ne connaît pas la stratégie de perturbation et de suspension forcée de séance propre à certains parlements dont le notre ? On en avait pas besoin ce jour-là et il l’a compris.
La question du vote serait exigible après débat autour de la motion de censure. On en était pas encore à ce point de l’ordre du jour. Et Deus ex machina, devant le constant d’une désapprobation imminente d’une partie de la majorité, le Premier Ministre, pressuré, a lui même annoncé qu’il a remis sa démission. C’en était fini. Tout le reste serait un théâtre de mauvais gout.
Le Président Gary Bodeau a pris acte de sa démission, il est parti. Une correspondance a été adressée à l’exécutif lui faisant part du vide, tel que prévu par la Constitution. Un vrai leader s’adapte tout en gardant la loi comme boussole. Le précédent Bodeau aura effectivement marqué l’histoire du parlement. Mais, pas en de mauvais termes. Et pour la simple édification de M. Roy, il n’y a pas de logique à enfoncer une porte ouverte.
Henriot Jean-Jacques